La science et la religion

Ce post constitue une contribution au débat lancé ici sur le blog "scepticisme scientifique" tenu par Jean-Michel Abrassart.

Jean-Michel Abrassart pose la question de la différence entre foi et crédulité :

"Est-ce qu'il est possible (philosophiquement parlant) de fondamentalement différencier le concept de foi du concept de crédulité, ou bien est-ce qu'il s'agit en réalité exactement de la même chose mais qui est valorisé dans un contexte (la religion) et dévalorisé dans un autre (la science)?"

J'ai déjà donné mon point de vue dans les commentaires dudit billet. Je souhaite ici réagir à une autre réponse donné par oldcola, et sur le même mode (par un billet), ce qui me permettra d'approfondir ma vision des choses.

J'invite donc les lecteurs à poster leurs commentaires directement sur le blog "scepticisme scientifique" et non pas ici.


Bien que je ne sois pas croyant, je souhaite ici défendre la religion contre une vision trop réductrice. Je pense qu'il existe dans les religions une dimension qu'on pourrait qualifier de spirituelle, ou bien encore de métaphysique, ou même mystique, qui devrait intéresser même les personnes athées.

La réponse de oldcola offre une vision de la religion que je trouve réductrice et un peu naïve. Pour résumer grossièrement : le clergé, ou certains prophètes, répandent des vérités "révélées" que les adeptes doivent croire sans preuve. La religion serait donc un système de connaissance entièrement basé sur la crédulité.

"Au catéchisme on demande d'accorder foi et ânonner, au labo d'en faire l'expérience par soi-même et de rédiger son compte-rendu. Le mode de transmission de la connaissance fait appel à la crédulité dans le premier cas, à l'incrédulité dans le deuxième cas."

D'abord remarquons que le catéchisme est à la religion ce que l'école est à la science, et à l'école aussi, on demande aux élèves d'accorder foi en ce qu'on leur enseigne. Cette simple phrase comparant le catéchisme aux labos est donc déjà un raccourci un peu trompeur. Pour vraiment faire une comparaison il faudrait plutôt comparer le labo aux endroits où se construisent les vérités religieuses, c'est à dire dans les discussions théologiques.

En effet nous croyons tous sans preuve, par crédulité, et 99% de ce qu'on croit savoir, on l'a en fait entendu à l'école ou lu dans des livres. Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, je n'ai jamais testé la relativité, je n'ai jamais vu de protéine... Pourtant je crois vraiment que les protéines existent et que la relativité fonctionne.

Au premier abord, donc, croire est une question de confiance en l'enseignement et rien ne nous permettrait de différencier, dans l'ensemble des vérités qui nous sont données, le vrai du faux.

Pourtant il se trouve que la vérité scientifique est plus "digne de foi" qu'une vérité religieuse. Passons rapidement sur ce qui nous permet de l'affirmer : sa cohérence interne qui peut être vérifée, le fait de connaitre sa méthode, le fait de pouvoir observer ses applications. Avec la science, pas besoin de preuves, le fait de savoir que théoriquement nous serions capable de trouver la preuve et de le constater par nous même nous suffit. A l'inverse les religions sont diverses, incohérentes entre elles et sujètes à interprétation, et rien ne nous laisse croire que quiconque pourra nous apporter la preuve des vérités religieuses.

Je suis donc en partie d'accord : effectivement, les vérités religieuses doivent être acceptées sans preuve.

Historiquement, une religion n'est rien d'autre qu'un espèce de cadre conceptuel traditionnel de l'existence humaine. Il englobe la métaphysique, la connaissance, l'éthique... C'est un espèce de "guide de l'existence".

La religion a donc aussi proposé, comme le fait la science, un système d'explication du monde, construits par les hommes, système que l'on croit plus ou moins et dont on discute les assertions entre spécialistes, mais qui est enseigné aux enfants de manière dogmatique.

La seule différence finalement est dans la manière dont la science construit sa vérité. Elle accepte de remettre en cause ce qu'elle affirme sur la base de l'expérience, parce que son langage (les mathématiques) le lui permet, et il lui permet également de vérifier sa cohérence interne. Finalement la science est en quelque sorte une "super religion" capable de mettre tout le monde d'accord. Mais du coup c'est aussi une religion incomplète, puisqu'elle laisse de côté les questions existentielles, l'éthique, etc.

Je voudrais faire une parenthèse pour attirer l'attention sur l'emploi du terme "surnaturel". Celui-ci implique déjà l'idée d'un statut privilégié de la science dans l'ensemble des systèmes de croyance : est surnaturel ce qui ne peut pas être compris par la science. Par conséquent dire que la religion est un système de croyance impliquant le surnaturel, c'est simplement dire que c'est un système distinct de la science.

Il est donc vrai de dire que la science intègre l'incrédulité dans sa méthode même, mais il est abusif de dire que c'est la crédulité qui est à la base de la vérité religieuse. D'abord la religion, même si elle est parfois dogmatique, est discutée et évolue avec le temps. Ensuite le prophète n'y a pas le monopole de l'expérience, et toute personne est amenée à partager son expérience intérieur. L'adepte confronte la vérité qui lui est enseigné à son expérience intuitive de ce qu'est l'existence.

On en arrive ici à l'essentiel de mon propos. Bien sûr, "l'expérience intérieure" n'est pas objective, donc elle n'entre pas dans le cadre de la science, et les vérités religieuses sont donc invérifiables, mais pour l'adepte, elle n'en est pas moins réelle, et surtout elle n'est pas réductible à une connaissance scientifique....

Vouloir réduire la connaissance humaine uniquement à ce qui est objectivement tangible est vérifiable sous une formulation mathématique, revient à affirmer que la science est complète ou qu'elle peut le devenir, et ceci constitue un acte de foi. C'est une affirmation métaphysique. Il ne fait pas de doute que la science soit universelle (tout le monde peut se mettre d'accord dessus). Mais qui nous dit qu'elle est complète ? Dire que la science est complète c'est affirmer que le monde est quelque chose de mathématique dans son ensemble. Que les phénomènes observables répondent à une logique mathématique ne fait pas de doutes. Mais que la réalité dans son ensemble soit mathématique, voilà une affirmation métaphysique.

Intuitivement on sent qu'il doit manquer quelque chose à une telle description, qui touche à notre existence en tant que tel, de l'ordre du sujet par opposition à l'objet. On sent bien que le fait d'être conscient, qui est quelque chose de très mystérieux (mais qui pourtant est la vérité première) ne peut pas être entièrement décrit par les mathématiques, même si les manifestations de notre existence pourraient l'être pour quelqu'un d'extérieur. En tant qu'objet, nous pouvons nous réduire à une description mathématique (dans nos manifestations), mais pas en tant que sujet.

Toute discussion métaphysique (et donc toute discussion religieuse) reste donc légitime, d'un point de vue philosophique, dans la mesure ou les fondements même de la science ou des mathématiques sont métaphysiques et que la complétude de la science y reste très fortement discutable. Et puisque le domaine de la religion est l'existence, que sa perspective n'est pas le monde objectif mais le sujet lui même, qu'elle touche à la métaphysique, il est tout a fait normal que ses vérités et la façon dont les individus les intègre soient de nature différente des vérités scientifiques, et en particulier qu'elles ne soient pas forcément démontrables ou vérifiables objectivement - autrement dit qu'elles soit "surnaturelles", tout comme la conscience, l'existence en tant que tel, du point de vue du sujet, est elle même "surnaturelle".

Voilà pourquoi, selon toutes les apparences, la religion nous demande de croire sans preuve, mais en réalité elle nous demande de confronter ses vérités à une expérience subjective qui échappe donc par nature à la preuve scientifique.

Ceci étant dit, les systèmes religieux se voulaient historiquement englobants, à une époque où la science n'existait pas encore, et donc contenaient un certains nombre d'assertions "objectives" qui ont été ensuite réfutées. On peut supposer qu'à l'époque la distinction entre les assertions métaphysiques et les assertions vérifiables n'était pas aussi clairement faite. Aujourd'hui encore, par une espèce d'inertie culturelle, les religions conservent ce types d'assertions. Ceci, et certaines tendances dogmatiques, permet de les critiquer comme étant des systèmes abusant de la crédulité des gens. Mais les réduire à ceci est injuste, et affirmer qu'elles ont pour seul et unique principe d'imposer des vérités c'est les méconnaitre.

Qu'on le veuille ou non, nous nous forgeons tous une représentation cohérente du monde et de l'existence qui englobe bien plus que la description scientifique. Nous savons ce qu'est un homme, intimement, bien au delà de sa description biologique en terme d'agencement d'organes, ou même de la description qu'en font les sciences cognitives. Nous en avons une connaissance infiniment plus complète, et il en va de même des relations humaines, de la société, de la politique, ... Il faut bien comprendre que la religion ce n'est que ça : une représentation (traditionnelle) englobante de ce qu'est le monde, ses origines, etc. C'est en quelque sorte le prêt-à-porter de la métaphysique...

Il est évident qu'aujourd'hui nous devons faire avec la science, la connaissance positive, objective du monde. Les religions dans sous leurs formes ancienne n'ont pas d'autre choix que de s'adapter, de se retrancher si besoin, d'évoluer. Une vérité scientifique aura toujours un statut supérieur à une croyance religieuse. Toute foi doit être confrontée à la réalité, critiquée, remise en question. Pour autant les religions (ou de manière générale la spiritualité, ou le mysticisme) doivent-elles disparaitre ?

Le problème récurrent chez la plupart des "adeptes" du mouvement sceptique (ce qui n'est pas le cas de tous les scientifiques, loin s'en faut) est qu'il font un choix conceptuel métaphysique, un véritable acte de foi, en affirmant que toute vérité ne peut être que scientifique (que la science est une description potentiellement complète), mais qu'ils ignorent désespérement qu'il s'agit bien d'un choix conceptuel, et pas forcément le plus sensé (puisqu'il implique quasiment leur propre inexistence en tant que sujet conscient).

Ils font l'erreur de penser que croire que tout est objectif est un choix lui même objectif, alors qu'il n'en est rien.

Ils ont raison de croire que toute vérité qui peut être confrontée au réel doit l'être, mais ils ont tort de croire que toute vérité peut l'être (en excluant ainsi "l'expérience intérieur"). Ils ont raison de croire en la prévalence de la vérité scientifique, mais tort de croire en son monopôle. En gros, ils confondent l'universalité et la complétude et ignorent la singularité.

Les sceptiques ne sont finalement que des croyants qui s'ignorent.

Commentaires

Quentin Ruyant a dit…
Ce qui ressort de la discussion, c'est l'argument selon lequel la démarche sceptique n'impliquerait pas une croyance mais un choix conceptuel fait en connaissance de cause (du moins par les personnes phares du mouvement), que ce choix conceptuel, le naturalisme, en tant "qu'hypothèse zéro", ne pourrait pas être considéré comme un réel choix métaphysique.

Reste que je ne vois pas au nom de quoi on ne peut pas tolérer les démarches alternatives, au nom de quoi on devrait les dénigrer, d'autant plus que cette "hypothèse zéro" me parait assez peu probable pour des raisons déjà citées.

Pour moi le mouvement sceptique est un mouvement conservateur qui surestime la complétude potentiel, mais aussi l'avancée actuelle de nos connaissances scientifiques. Il joue le rôle de garde-fou, ce qui est utile à ses heures, mais pourrait aussi brider certains développements.

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